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La fin brutale d'Eugénie DENIAU

Au cours de nos recherches généalogiques, nous tombons souvent sur des évènements que nous pouvons caractériser comme étant "joyeux" : mariage, naissance d'un ou plusieurs enfants. A contrario, nous tombons également sur des évènements chargés de tristesse : décès, disparition de soldats. Mais dans cette catégorie, il peut arriver, parfois, que cette tristesse caractérise un évènement véritablement dramatique à la vue de ce qu'il implique. C'est sur ce genre d'évènement que je suis tombé il y a quelques semaines, et que je vais maintenant entreprendre de vous raconter.

Attention : ce billet traitant d'un sujet qui est particulièrement dramatique, et qui peut raisonner négativement chez certaines personnes, il est de mon devoir de vous prévenir avant d'entamer la lecture.

La découverte

Commençons par le commencement : un jour, alors que je m'ennuyais un peu, j'ai décidé de lancer Geneanet afin de regarder un peu sur quelle branche/ancêtre j'allais pouvoir me pencher. Une personne a fini par attirer mon attention, Eugénie Louise Rose DENIAU, car certes, j'avais trouvé son acte de naissance, de mariage avec Moïse Antoine DERRÉ, et de décès, mais je me suis alors rendu compte que je n'avais inscrit aucune information, ou très peu, à propos de son second mariage avec un certains Marie Gustave Désiré GOUGEON. Après de rapides recherches et une fois l'acte de mariage trouvé, qui ne m'apprenait pas plus de choses que je ne savais déjà, j'ai décidé de me pencher sur les enfants qu'aurait pu avoir le couple avant le décès d'Eugénie, intervenu 6 ans après son second mariage. J'ai effectivement trouvé deux enfants pour ce couple, mais une chose étrange a alors attiré mon attention : Eugénie et ses deux enfants, de 3 et 4 ans, sont morts exactement le même jour, dans la nuit du 31 décembre 1896 au 1er janvier 1897. La coïncidence m'a paru bien étrange, et soupçonnant qu'un évènement tragique se cachait là-dessous, j'ai alors eu l'idée de me servir du site Retronews, afin de savoir si un article de journal n'évoquait pas cette étrange affaire... et quel ne fut pas ma surprise lorsque je suis tombé sur cet article :

Article dans Le Guetteur de Saint-Quentin et de l'Aisne, n° du 06 janvier 1897

Je dois préciser que l'article s'est retrouvé dans de nombreux journaux de France, alors que l'affaire s'est déroulée dans le Loir-et-Cher montrant ainsi que l'évènement a dû choquer les journalistes, ou du moins les rédacteurs. (je me demande si un journal local du Loir-et-Cher n'en a pas parlé, mais ne pouvant consulter les journaux de ce département, je dois me contenter de ce qu'ont relayé les autres journaux).

Eugénie s'est donc suicidée avec ses enfants, ce qui explique que les dates de décès soient le même jour. Malheureusement, les articles restent assez vagues sur les raisons de ce geste, hormis cette précision "misère et inconduite de son mari". Mais qu'entendent-ils par inconduite ? Ivrognerie ? Tromperie ? Pour essayer d'en savoir plus, il faut se pencher sur l'histoire d'Eugénie, de sa naissance à cette nuit dramatique du 31 janvier 1896.

La vie d'Eugénie

Eugénie Louise Rose DENIAU est née le 12 juillet 1857, à Monthodon (Indre-et-Loire), au lieu-dit de La Folerie, du mariage de Jean Toussaint DENIAU, alors vigneron, et de Marie Pauline Éléonore MENIER, sans profession. Elle est la deuxième enfant du couple, et a deux sœurs : Pélagie Marie Pauline, née en 1855, et Constance Clotilde Juliette, née en 1871. Durant toute son enfance et son adolescence, Eugénie reste chez ses parents à La Folerie, comme l'indiquent les recensements de 1861, 1866 et 1872. Je ne sais rien de plus à propos de cette période de sa vie pour le moment.

C'est est 1876, le 19 juillet, que je retrouve la trace d'Eugénie, lors de son mariage, toujours à Monthodon, avec un certain Moïse Antoine DERRÉ, cultivateur de son état, alors âgé de 22 ans, tandis qu'Eugénie est âgée de 19 ans. Le couple s'installe, du moins pendant un temps, chez la mère de Moïse, Marie Françoise Désirée BRUNET, alors veuve, et n'aura qu'une enfant, Angèle Léa Alexandrine, née le 17 février 1877, mon arrière-arrière-grand-mère. Malheureusement, Moïse décède le 25 janvier 1880, dans sa 27e année (je ne connais pas les causes de sa mort, peut-être une maladie), laissant Eugénie veuve à 22 ans, devant élever sa fille.

Après la mort de son mari, Eugénie retourne s'installer avec sa fille chez ses parents, à La Folerie. Elle y reste pendant près de 10 ans, à élever sa fille.

Mais le 3 mai 1890, un nouveau changement intervient dans la vie d'Eugénie : elle se remarie, avec un certain Marie Gustave Désiré GOUGEON, cultivateur, alors âgé de 26 ans, alors qu'Eugénie en a presque 33. Le 29 avril, peu avant le mariage, le couple avait passé un contrat de mariage à Château-Renault, sûrement à cause du fait qu'Eugénie avait eu un enfant de son précédent mariage.

Après le mariage, Eugénie et son nouveau mari déménagent dans le département d'à côté, le Loir-et-Cher, plus précisément à Saint-Cyr-du-Gault, au lieu-dit du Haut Villemail. C'est là qu'Eugénie donne naissance à deux enfants : Gaston Marceau en 1892, et Emilly Laure Argentine en 1893. Dans le même temps, les parents d'Eugénie s'installent eux aussi dans le Loir-et-Cher, mais à Saint-Arnoult, à une dizaine de kilomètres de Saint-Cyr-du-Gault. En bref, tout semble aller pour le mieux pour le couple... jusqu'à cette nuit fatidique du 31 décembre 1896, où "profitant de l'absence de son mari" et très certainement aussi de sa fille Angèle, Eugénie se suicide avec ses deux enfants en bas âges, dans une mare, les corps n'étant découverts qu'un peu plus tard.

Les raisons de ce geste

Comme je l'ai dit plus haut, la nouvelle se retrouve dans beaucoup de journaux aux quatre coins de la France, avec des titres compréhensifs, comme "Le Désespoir d'une Mère" dans le Petit Marseillais, neutres comme "Drame de famille" dans La Dépêche, mais aussi accusatoires, comme "Mère abominable" dans Le Petit Journal. La formule de "criminel désespoir" est d'ailleurs reprise dans tous les journaux. Mais qu'est-ce qui a pu conduire Eugénie à commettre un tel acte ? Dans les journaux, les articles mentionnent tous à la fin cette possible raison "C'est la misère et l'inconduite du mari qui ont poussé cette femme à cet acte de criminel désespoir". Je ne vais pas chercher à expliquer la misère, car je suppose que le ménage manquait cruellement d'argent. Je vais ici m'intéresser à la fameuse "inconduite" du mari. Qu'entendent par là les journaux ? Pour le savoir, j'ai dû me pencher un peu plus sur la vie du second mari d'Eugénie, Marie Gustave Désiré GOUGEON.

Ce dernier est né à Authon, dans le Loir-et-Cher, le 20 août 1863, de Jean GOUGEON et de Louise PERSY. Je ne sais pas grand-chose d'autre sur lui, jusqu'à son mariage le 9 novembre 1887 avec une certaine Virginie Désirée Louise FERRAND. Le mariage ne dure malheureusement pas longtemps, car Virginie meurt moins d'un an plus tard, le 26 septembre 1888. Il faut attendre le 3 mai 1890 pour que Marie Gustave se marie une deuxième fois, avec Eugénie. Jusqu'au suicide tragique d'Eugénie et de ses deux enfants, je ne remarque pas de choses particulières ayant concerné Marie Gustave, que ce soit dans la presse ancienne comme dans l'état civil. Mais un semblant de réponse me parvient lorsque je découvre que Marie Gustave s'est marié une troisième fois, le 30 juillet 1899, à Monthodon, avec une certaine Marie Henriette Léonie MORIN. Jusque-là je ne vois rien d'anormal, jusqu'à ce que je m'intéresse aux mentions marginales de l'acte de mariage... et quelle ne fut ma surprise quand je vis que lors du dit mariage, Marie Gustave légitimise un garçon, un certain Louis Henri, qu'il dit être né de lui et de Marie MORIN... le 17 décembre 1894, à Savigny-sur-Braye, alors que Marie Gustave était marié avec Eugénie !

Mais alors, serait-ce donc cela, la fameuse inconduite du mari, le fait qu'il ait trompé sa femme, cette dernière ayant fini par l'apprendre ? Le suicide d'Eugénie avec ses deux enfants issus de son mariage avec Marie Gustave pourrait-il être une sorte de """vengeance""" envers ce dernier ? En vérité, on ne pourra jamais vraiment en être certain, car il y a deux éléments qui peuvent faire tomber cette théorie : d'abord le fait que le village où résidait Marie MORIN, Savigny-sur-Braye, se trouve à une trentaine de kilomètres de Saint-Cyr-du-Gault, donc comment Marie Gustave et Marie MORIN auraient-ils pu se rencontrer et entretenir une relation ? Et ensuite, et c'est là le principal problème de cette théorie, c'est qu'il m'est impossible de savoir si ce Louis Henri est bien le fils de Marie Gustave, car ce dernier aurait très bien pu légitimer un enfant qu'il savait ne pas être le sien, comme cela pouvait se faire à cette époque.

Conclusion

La vie d'Eugénie DENIAU n'aura pas été joyeuse : premier mari vite décédé, 10 années de veuvage, un second mariage en apparence heureuse avec deux enfants qui naissent, mais s'avère être en réalité plein de misère et de possibles tromperies, qui vont pousser la pauvre Eugénie à commettre l'irréparable, en emportant avec elle ses deux enfants nés de ce second mariage.

Peut-on en vouloir à Eugénie d'avoir choisi de quitter ce monde en emportant avec elle deux de ses enfants ? Je suis très mal placé pour répondre, ne connaissant pas les sentiments profonds que ressentait cette pauvre femme. Est-ce légitime d'affirmer qu'Eugénie a été une mauvaise mère, comme semble l'affirmer Le Petit Journal avec son titre "Mère abominable" ? Je pense que non, car personne ne peut savoir ce que ressentaient Eugénie, et si on devait désigner un coupable dans cette affaire, c'est Marie Gustave et son inconduite, mais presque 130 ans après les faits, cela ne sert plus à rien de vouloir désigner un coupable. Cette affaire reste un drame absolu, dans lequel une femme a été poussée dans un grand désespoir, au point d'entraîner avec elle ses propres enfants : dans ce billet, j'ai essayé de trouver la ou les causes du geste d'Eugénie, mais finalement est-ce vraiment le plus important là-dedans ?

Avant de terminer cet article, j'aimerais vous livrer le futur de certains protagonistes de cette affaire. Tout d'abord en ce qui concerne Angèle DERRÉ, la fille qu'a eu Eugénie lors de son premier mariage, je suppose qu'elle ne devait pas être présente au moment du drame, car je ne trouve pas sa mention dans les différents articles. Ce dont je suis sûr en revanche, c'est qu'elle se marie le 27 janvier 1900, à Monthodon, avec un certain Ernest Alexis Julien BERTAUX. Ensemble ils auront 7 enfants, dont mon arrière-grand-père, Edgard. Angèle s'éteint le 21 décembre 1961 à Saint-Arnoult, alors qu'elle a près de 84 ans. Quant à Marie Gustave GOUGEON, je sais qu'il aura trois enfants de son mariage avec Marie MORIN, mais je ne sais malheureusement pas quand il est mort.

Enfin, pour terminer ce billet, je voudrais le dédier à Eugénie, ainsi qu'à ses deux enfants. Ça ne sert probablement à rien, et le principe même d'avoir écrit un billet sur un tel drame pourra paraître comme inutile, voir carrément malsain. Mais j'espère qu'avec cela, cela permettra à la mémoire d'Eugénie d'être encore vivante, et à son histoire d'être redécouverte, cette dernière ayant été oubliée pendant bien trop longtemps.


Sources

- Archives départementales du Loir-et-Cher

- Archives départementales de l'Indre-et-Loire

- Retronews (pour les articles de journaux)

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