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La "Bête" de Saint-Arnoult (Loir-et-Cher)

ATTENTION: Cet article comporte des informations pouvant choquer/déranger les personnes les plus sensibles

Dans ce climat anxiogène pour nombre d'entre nous, dû à ce confinement forcé, l'opportunité était trop belle pour certains, qui ce sont remis à (ou ont commencé) leur généalogie. C'est en tout cas ce qui s'est passé pour moi. Ayant repris mes recherches, je me suis intéressé à une branche maternel de mon arbre - la famille HAYE - ayant vécu dans la commune de Saint-Arnoult (Loir-et-Cher), durant tout le XVIIIe siècle. Mais ce n'est pas de cette famille dont nous allons parler aujourd'hui, mais de deux cas particuliers rencontrés dans les registres paroissiaux. Mais tout d'abord, posons le contexte.

Contexte: Saint-Arnoult au XVIIIe siècle:

Saint-Arnoult est une commune rurale, se situant dans le département du Loir-et-Cher (région Centre-Val de Loire), à la frontière du département de l'Indre-et-Loire, au sud-ouest de Vendôme et au sud de Montoire-sur-le-Loir. Selon l'Insee, 321 personnes habitaient à Saint-Arnoult en 2017.

Saint-Arnoult aujourd'hui
Source: Google Earth
Mais laissons tomber le XXIe siècle, et allons plutôt à l'époque où se sont passés les événements que je vais vous raconter: le milieu du XVIIIe siècle.
À cette époque, Saint-Arnoult devait être plus petit qu'aujourd'hui, mais avait à contrario sûrement plus d'habitants. En effet, selon les estimations, le village comptait environ 430 habitants, ce qui peut laisser supposer que au milieu du XVIIIe, il devait y en avoir environ 400. La majorité des habitant devaient être des paysans, vignerons, ou journaliers. À l'est du village se trouvait une forêt, toujours présente aujourd'hui.
La "Forêt de Saint-Arnoult" au XVIIIe siècle
Source: Carte de Cassini, carte n°29 dites de "Blois", Gallica
La "Forêt de Saint-Arnoult" aujourd'hui
Source: Google Earth
Voilà donc la situation de ce petit village au début de notre histoire, en l'an 1751.

Les attaques de la "Bête": 12 septembre 1751 et 11 juillet 1753

Nous sommes le 12 septembre 1751. Le curé de Saint-Arnoult rédige l'acte de sépulture d'une petite fille âgée de 8 ans, Marie HULOT. À première vue, c'est un acte de sépulture comme un autre, mais dans celui-ci, c'est les mentions marginales qui vont attirer l'attention des lecteurs qui ne passent pas trop vites les pages des registres.
Acte de sépulture de Marie HULOT
Source: A.D du Loir-et-Cher
Au lieu du classique "Sep. de Marie HULOT 8 ans", on y trouve "Sep. de la tête et quelque petits os et une jambe, quelque os de la cuisse tous rongé de Marie HULOT 8 ans". À la lecture de ces mots, notre attention sur cette malheureuse fillette est maintenant complète. Et c'est en lisant l'acte en entier que nous comprenons mieux le sort de la petite Marie (merci à Hélène du blog "Pelle et Pioche" pour avoir retranscrits les deux actes qui vont suivre):

"Le douzième septembre 1751 a été inhumé
dans le cimetière de cette paroisse par nous Curé
soussigné la tête et quelque restes des os du corps de Marie Hulot âgée d'environ huit ans laquelle fut dévorée et mangée hier par un animal qu'on appelle vulgairement la Bête et du quel corps on n'a pu trouver que lad. tête et une petite poignée de cotes et autres petits os et les habits entier et une jambe .....
l'os de la cuisse lad. sépulture
en présence de Damoiselle Elizabeth du Belayet de plusieurs autres qui n'ont signé Jean Haloret Françoise Luneau ses père et mère, n'ont pu assister a cause de leur affliction, rayé deux mots nul"

Après la lecture, on ne peut que ressentir l'affliction des parents face au cadavre de leur fille, dévoré par cette "Bête". Mais quelle peut bien être cette fameuse "Bête" ? Nous l'expliquerons tout à l'heure. Car une autre attaque de cette "Bête" surviendra 2 ans plus tard, le 11 juillet 1753. Cette fois, ce sera la petite Jeanne MENIER, 10 ans, qui sera sa victime.
Acte de sépulture de Jeanne MENIER
Source: A.D du Loir-et-Cher
Contrairement à la petite Marie, Jeanne mourra par étranglement, comme marqué dans les mentions marginales "Sep. Jeanne MENIER étranglé par la Bête, 10 ans". Le contenu de l'acte est aussi beaucoup moins sordide.

"Le onze juillet mil sept cent cinquante trois a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Jeanne Menier âgée de dix ans et demi fille de Denis Menier et de Jeanne Nardeux laquelle a été etrangl(ée) aujourdhuy a neuf heures du matin au-dessus du bois de la bonnardrie par l'animal qu'on nomme vulgairement la Bête"

Cette fois, nous connaissons l'endroit où à eu lieu l'événement, au-dessus du "bois de la bonnardrie". Problème, il n'y a aucun bois de la bonnardrie aux alentours du village. Peut-être le nom a-t-il été mal orthographié ? C'est à cette conclusion que j'arrive, car un peu au sud du village, il y a un lieu-dit appelé "La Bouvarderie", déjà présent au XVIIIe siècle.
Lieu-dit de "La Bouvarderie", au sud de Saint-Arnoult
Source: Google Earth
Une chose qu'on peut remarquer, c'est que le lieu-dit est entouré au sud, à l'ouest et au nord, de différents bois, ce qui collerait avec "bois de la bonnardrie", qui est donc "bois de La Bouvarderie". Une autre chose qu'on peut remarquer, c'est que on a l'heure à laquelle la petite Jeanne s'est faite étrangler, ce qui laisse penser que des gens sont arrivés, au moment où la petite se faisait attaquer, mais trop tard pour la sauver.

Suite à cette attaque, on ne retrouvera plus la trace de la "Bête" dans les registres.

L’identité de la "Bête" de Saint-Arnoult ?

Mais avec tout ceci, vous vous demandez sûrement "mais quelle est l’identité de cette Bête" ? Les personnes qui connaissent un peu les légendes de France auront tout de suite pensées à la fameuse "Bête du Gévaudan", responsable d'un véritable carnage dans le Gévaudan, au milieu du XVIIIe siècle. Mais il y a trois problèmes : le Gévaudan, qui correspond aujourd'hui plus ou moins au département de la Lozère, se situe bien plus au sud-est du Loir-et-Cher. De plus, les massacres commis par la Bête du Gévaudan ont fait entre 88 et 124 morts, incomparable au 2 seuls victimes de celle de Saint-Arnoult. Enfin, la période des attaques ne correspond pas; de 1751 à 1753 pour Saint-Arnoult, et de 1764 à 1767 pour le Gévaudan, soit 10 ans après. Par contre, il semblerait que ce soit l'un des suspect pour les attaques dans le Gévaudan, qui soit responsable des attaques à Saint-Arnoult, j'ai nommé... le loup.
Gravure de la fameuse "Bête du Gévaudan", 1764
Source: Gallica

En effet, le loup, très présent en France au XVIIIe siècle, s'attaquait parfois à des enfants, voir à des adultes, si ces-derniers s'approchaient trop près. L’augmentation, et la dissémination des Hommes sur tout le territoire ont inévitablement amené Homme et loup à se croiser, et parfois, ces rencontres pouvaient se conclure dramatiquement, pour l'un comme pour l'autre. Il n'est donc pas rare que, dans les registres paroissiaux, on trouve des mentions "tué(e) par la Bête", comme par exemple dans la commune de Mareuil-sur-Cher, situé au sud du Loir-et-Cher où, 3 ans avant la première attaque à Saint-Arnoult, où un loup
avait fait également 2 morts, là aussi des enfants, et de nombreux blessés (source: http://histùoiremareuil41.free.fr/archeologie_fichiers/loup.htm). Mais qu'est-ce qui peut bien pousser un loup, en général inoffensif envers l'Homme, à s'attaquer à eux ? Il y a, à cela, de nombreuses explications: le loup avait peut-être la rage, ce qui l'a rendu plus agressif, il avait peut-être très faim, et les enfants représentaient pour lui des proies faciles, ou encore, peut-être que le loup était attiré par la chair humaine, cas rare chez ces animaux. Mais pourquoi les attaques se sont-elles arrêtées après 1753 ? À cette question, je ne vois que deux réponses: soit le loup a été tué, soit il est parti ailleurs. Mais d'ailleurs, peut-être y avait-il plusieurs loup ? C'est très probable, les loups était nombreux à l'époque, et ce ne serais pas étonnant que ce soit deux loups différents qui aient tués ces deux petites filles.

Conclusion:

Que peut-on conclure de tout ceci ? Que la "Bête de Saint-Arnoult" n'est en fait qu'un, ou plusieurs, loup qui, tiraillé(s) par la faim, atteint(s) par la rage, ou juste amateur(s) de chair humaine, a - ou ont - attaqué(s) deux petites filles qui se trouvaient là au mauvais endroit, au mauvais moment, puis est parti ailleurs, ou s'est fait tuer, ce qui devait être le scénario de la plupart des attaques de loup à cette époque. Ce qui aurait pu devenir un mythe local, "La Bête de Saint-Arnoult", s'avère être en fait une affaire tout à fait banale de l'époque. Mais finalement, est-ce si grave que cela ? Ces attaques n'ont pas laissées de traces dans le mémoire collective, ce qui n'est pas si mal, car si ça aurait été le cas, il aurait fallu, à mon avis, beaucoup plus que 2 fillettes. Malgré tout, je vais dédié cet article à ces deux jeunes filles, Marie HULOT et Jeanne MENIER, qui ont terminé leur courte vie dans des conditions dramatiques, que nous, Hommes du XXIe, ne connaissons que rarement, voir plus du tout.


À Marie HULOT et Jeanne MENIER


Sources:
- Images satellites : Google Earth
- Cartes de Cassini : Gallica (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53095261d)
- Gravure : Gallica (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84096710)
- Actes de sépultures : Archive départementale du Loir-et-Cher (http://www.culture41.fr/Archives-departementales/Rechercher-et-contribuer/Archives-en-ligne)
- Attaques à Mareuil-sur-Cher : http://histoiremareuil41.free.fr/archeologie_fichiers/loup.htm

Commentaires

  1. Triste fin pour ces deux fillettes mais joli article sur ce blog. Et comment avez vous trouvé cette histoire ?

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    1. Bonjour, merci pour votre retour ! Cette histoire n'est faite que de supposition, je ne crois pas que tout ce que j'ai dit ici ce soir réellement passé comme je l'ai écrit. Je me suis basé principalement sur les 2 actes de sépultures, et de ce que je connaissait.

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  2. Étranglée par la Bête et on attribue cela au loup ?

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    1. Je pense que par étranglé, on entend ici égorger

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  3. On a eu plusieurs "bêtes" en Touraine, la bête de Benais qui a fait 135 morts en 1693 et 1694, ou la bête du Val-de-Loire, à la même époque que celle de Saint-Arnoult, qui a fait 147 morts entre 1747 et 1754. Comme pour celle du Gévaudan, on peut se demander si certaines bêtes ne marchaient pas sur deux jambes et ne profitaient pas des loups pour cacher leurs crimes.

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